Guérir la terre, nourrir les hommes

Vous avez peut-être déjà entendu parler de la Ferme du Bec Hellouin, en Haute-Normandie, créée par Perrine et Charles Hervé-Gruyer. Cette ferme est souvent présentée comme un  exemple convaincant de maraichage en permaculture. Des études ont été faites, en collaboration avec l’INRA, afin de tester la rentabilité d’une telle exploitation et les résultats ont été plutôt concluants (voir ici). Des reportages ont également été tournés (figurant notamment dans le film-documentaire Demain tourné par Cyril Dion et Mélanie Laurent).

Et bien si vous souhaitez en savoir plus, je vous conseille vivement le livre écrit par Perrine et Charles Hervé-Gruyer sur l’histoire de la ferme, retraçant leur démarche, leurs explorations de diverses voies novatrices en terme d’agriculture et leurs rencontres avec d’autres pionniers d’agricultures alternatives.

Dans ce livre, on y retrouve l’histoire des jardiniers-maraichers parisiens du XIXè siècle, qui cultivaient sur couche chaude grâce au compostage du fumier de cheval et qui parvenaient à alimenter Paris en nourriture. Un chapitre entier est dédié à Eliot Coleman, grimpeur et inventeur de génie, qui a su développer en particulier des techniques et des outils innovants.

En outre, certains chiffres qui sont mentionnés dans le livre font froid dans le dos :

En 2060, toute l’essence produite dans le monde ne sera même pas suffisante pour faire tourner les véhicules des automobilistes américains ! (…) Selon les projections, la production mondiale sera de 85,9 millions de barils par jour en 2020, et chutera à 17,4 millions de barils par jour quarante ans plus tard.

En dix ans, les investissements en recherche de gisements ont été multipliés par plus de quatre, sans permettre de faire décoller la production. (…) Dans un système fondé sur une exploitation abusive de ressources naturelles, pour maintenir un niveau de production constant, les intrants doivent être injectés en quantité croissante, jusqu’à l’effondrement du système lorsque les ressources sont épuisées.

Depuis 1945, aux États-Unis, le recours aux pesticides a augmenté de 3300%, mais les pertes de récoltes liées aux ravageurs n’ont pas diminué. L’agriculture nord-américaine doit actuellement investir 2,7 dollars d’intrants à base de pétrole pour produire 4 dollars de cultures.

La FAO estime qu’il faudrait doubler la production alimentaire mondiale d’ici à 2050 pour nourrir une humanité en rapide augmentation. (..) Les terres arables sont en rapide diminution: 30% des terres cultivables ont déjà été désertifiées.

Au sein d’une ferme mécanisée, deux calories d’énergie fossile sont nécessaires pour en produire une (cette inefficacité est en partie liée aux cultures destinées à l’alimentation animale). Si l’on y ajoute l’énergie nécessaire pour transporter, stocker, réfrigérer, transformer, emballer, distribuer les denrées alimentaires, dix à douze calories d’énergie fossile sont nécessaires pour qu’une calorie seulement arrive dans notre assiette.

Plusieurs chapitres sont dédiés à l’avenir de l’agriculture et aux différentes pistes à exploiter. Ce sont des chapitres que j’ai trouvé très intéressants. Plein de choses pleines de bon sens, qui peuvent au premier abord paraître rétrogrades, mais qui se justifient pleinement lorsqu’on écoute parler les spécialistes de l’après-pétrole, comme notamment revaloriser le travail à la main, afin de pallier à l’épuisement inévitable des ressources fossiles à moyen terme. Pour cela :

  • Se diriger vers une agriculture permanente : passer des plantes annuelles aux plantes vivaces, éventuellement issues de croisements génétique, sélectionner des plantes qui soient peu exigeantes en eau, en fertilité, et aux qualités nutritives bien meilleures que celles qu’on trouve actuellement avec l’agriculture intensive (y-compris pour la culture de céréales). Cela rejoint d’ailleurs les articles et vidéos que j’avais vus sur Pascal Poot et ses semences ne nécessitant ni eau, ni pesticide, et pourtant bien plus productives et plus nutritives que les semences hybrides. Simplement en leur apprenant à s’adapter aux conditions défavorables, plutôt qu’en les aidant et en faisant au final le travail à leur place.
  • Favoriser le développement des micro-fermes et tourner le dos au modèle actuel, dans lequel on pousse les agriculteurs à s’étendre toujours plus au détriment de la qualité.
  • Explorer la voie d’un « système agraire solidaire », permettant de couvrir l’ensemble des besoins nutritionnels d’une communauté locale, en interconnectant des micro-fermes, des artisans, des unités de transformation, une boutique, etc., chacun d’entre eux répondant à un besoin particulier dans l’écosystème.
  • Revenir à une économie reposant sur une terre nourricière plutôt que sur la spéculation financière.

Les derniers chapitres donnent des conseils à qui veut se lancer dans la création d’une micro-ferme permaculturelle afin d’éviter les écueils auxquels ils ont été confrontés. Tout d’abord, Perrine et Charles Hervé-Gruyer rappellent que se lancer dans une telle filière est bien plus qu’un métier : il s’agit d’un véritable choix de vie, avec toutes ses contraintes (peu de vacances, revenus modérés, journées de travail à rallonge) mais aussi tous ses avantages, le principal étant la qualité de vie que cela dégage. Ils donnent ensuite quelques conseils judicieux comme ceux-ci :

  • Préparer méticuleusement son projet. Y aller progressivement, en commençant à échelle réduite (son propre jardin). Commencer par offrir ou vendre ses productions à ses voisins, en continuant en parallèle une activité rémunératrice aussi longtemps que possible.
  • Quantifier la valeur économique de sa production, le temps passé pour la produire, les frais engagés (le seuil proposé est de 25€ de légumes par mètre carré et par an en moyenne, pour 15€ de chiffre d’affaire par heure).
  • Se former en ayant en tête que l’agriculture permaculturelle est l’agriculture de la connaissance. Comme il n’y a pas beaucoup de formations en permaculture, le mieux est de commencer par se former en maraichage bio (en réalisant un brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole par exemple).
  • Transformer son jardin en micro-ferme. Ne pas commettre l’erreur de se lancer sur une surface trop grande. Choisir la plus petite parcelle possible en la cultivant exceptionnellement bien.

Et pour finir, en guise de conclusion, Perrine et Charles Hervé-Gruyer rappellent ce pourquoi ils ont choisi cette voie : « le désir profond de comprendre, de l’intérieur, la dynamique de la vie, à l’œuvre dans la terre et les racines, les tiges et les feuilles, les pattes et les ailes, la pluie et le vent. Par quel miracle les minéraux de la roche mère s’assemblent-ils jusqu’à former, mêlés de soleil et d’eau, le corps doux et chaud de notre âne, les yeux bleus ou bruns de nos enfants ». Il s’agit ici simplement du désir de comprendre intimement le monde dans lequel nous vivons, explorer la nature dans ses moindres recoins et parvenir ainsi à mieux l’accompagner afin qu’elle nous donne en retour le meilleur d’elle-même. Et c’est cette soif de connaissance qui de mon point de vue rend aussi passionnant le fait de se lancer dans la permaculture.

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